Lorsqu’en
1790, Johann Heinrich Möbius, professeur de danse de son état, engendra
son fils unique August, il ne se doutait guère que, plus de deux cent
ans plus tard, il serait aussi célèbre. D’ailleurs, Johann Möbius
mourut alors que son fils n’avait encore que trois ans : ce n’est
donc pas lui qui orienta le choix de ses études.
Le jeune
August commença de études de droit à l’Université de Leipzig, en 1809.
Cependant, il découvrit vite que ce sujet ne l’intéressait guère, et,
dès le milieu de sa première année, il se tourna vers les
mathématiques, l’astronomie et la physique. En 1813, nous retrouvons
Möbius à Göttingen où il suit l’enseignement de Gauss, qui combinait
harmonieusement mathématique et astronomie. Il se rend ensuite à Halle,
où il étudie sous Johann Pfaff.
En 1815,
il écrit sa thèse de doctorat sur « L’occultation des étoiles
fixes ». L’année suivante, il est nommé professeur extraordinaire
d’astronomie et de mécanique supérieure à l’Université de Leipzig. On
raconte pourtant qu’il n’était pas spécialement un bon pédagogue, et
qu’en conséquence, il vivait assez pauvrement, car peu d’élèves payants
fréquentaient ses cours… Lorsque la chaire de mathématiques devint
libre, on lui préféra un autre mathématicien. Ce n’est qu’en 1844 qu’il
devint enfin un « full professor » de l'Université de Leipzig
Les divers
travaux de Möbius concernent aussi bien les mathématiques que
l’astronomie. En particulier, ses publications mathématiques, quoique
pas toujours absolument originales, étaient efficaces et clairement
présentées. Son nom reste attaché à divers objets mathématiques
importants tels que la « fonction de Möbius » et la
« formule d’inversion de Möbius ». Ce n’est qu’après son
décès en 1868 qu’on découvrit un mémoire discutant des propriétés d’une
surface fort particulière, que tout le monde connaît sous le nom de
« surface de Möbius », même si l’antériorité en ce sujet,
tant au point de vue conception qu’au point de vue publication, revient
en réalité à Johann Benedict Listing (1808-1882).
Même pour un
mathématicien chevronné et blanchi sous le harnais, il n’est guère
facile de se représenter clairement la surface de Möbius, car elle
s’étend à l’infini de tous les côtés… En gros, on peut la définir comme
suit : un plan tourne autour d’une de ses droites d’un mouvement
uniforme de rotation. Par un point fixe dans ce plan mais non situé sur
la droite, passe une seconde droite qui tourne dans le plan autour du
point d’un mouvement uniforme de rotation de vitesse angulaire égale à
la moitié de celle du plan. Cette seconde droite engendre une surface
infinie appelée « surface de Möbius ».
Il n’est pas trop ( !) difficile de donner des équations
paramétriques de cette surface, mais nous vous en ferons grâce !
Heureusement,
il est plus facile de concevoir et même de construite physiquement une
version simplifiée : le fameux « ruban de Möbius ». Nous
invitons nos lecteurs à prendre les quelques minutes nécessaires à ce
petit exercice : le résultat en vaut certes la peine. Voici donc
comment procéder : vous prenez une bandelette de papier pas
trop rigide. Les dimensions peuvent être choisies librement, mais nous
vous recommandons une bandelette d’à peu près 30 cm de long et deux ou
trois cm de large.
Vous faites effectuer à une des extrémités
(ici A) une rotation d’un demi-tour
Vous collez ensuite (colle classique ou
scotch tape) les extrémités A et B sans changer leur orientation.
Et hop, vous voilà l’heureux possesseur d’un
ruban de Möbius en bonne et due forme… Celui-ci, ainsi d’ailleurs que
ses frères jumeaux que vous ne manquerez pas de créer, vous permettra
de réaliser de fascinantes expériences !
Tout d’abord,
à l’aide de deux crayons de couleur, marquez un endroit d’une croix
rouge et l’endroit correspondant de l’autre côté de la feuille d’une
croix verte. Il vous suffit ensuite de demander à votre
fils/neveu/gamin de la concierge de colorier en rouge la face portant
la croix rouge et en vert celle portant la croix verte…
Par contre, il serait souhaitable que
vous réalisiez vous-même la petite expérience suivante : à l’aide
d’une paire de ciseaux, vous entaillez le ruban à mi-distance de ses
deux bords, puis vous découpez le ruban en deux en suivant la ligne à
mi-distance des deux bords. Cependant, avant que de faire cette
expérience, tâchez de deviner si les deux moitiés obtenues seront
séparées ou entrelacées. Vous m’en direz des nouvelles !
Il est aussi fort intéressant de découper un ruban de Möbius en
trois, en suivant un de ses bords à un tiers de sa largeur. Ici aussi,
le résultat en vaut la peine !
Le ruban de Möbius trouve un emploi fort
décoratif tant en joaillerie qu’en tricot (écharpes en forme de ruban
de Möbius).
Mais venons-en enfin, après cet intermède aussi instructif qu’amusant,
à la philatélie…
Le ruban de Möbius figure, en tant que
tel, sur deux timbres brésiliens :
On le
retrouve aussi, portant les couleurs nationales des trois pays, sur les
timbres de l’émission commune belgo-néerlando-luxembourgeoise célébrant
le Benelux :
Enfin, on l’a
utilisé pour créer le symbole bien connu du recyclage, que l’on
retrouve sur certains entiers postaux britanniques et slovènes pour
indiquer qu’ils furent imprimés sur du papier recyclé :
Nous ne
voudrions pas quitter ce cher Möbius sans signaler l’utilisation
remarquable de son ruban par le génial artiste néerlandais Maurits
Cornelis Escher : ces pauvres fourmis ne sont certes pas encore
arrivées à destination !
Il y aurait
certes beaucoup à dire au sujet de M.C. Escher, mais nous nous
efforcerons de modérer notre enthousiasme ! Né à Leeuwarden le 17
juin 1898, il voit sa première œuvre graphique publiée en 1916. De 1919
à 1922, il suit les cours de l’Ecole d’Architecture et des Arts
Décoratifs de Haarlem. Il visite ensuite l’Espagne et l’Italie, deux
pays qui influenceront ses œuvres. Sa première exposition personnelle a
d’ailleurs lieu en août 1923 à Sienne. Il vivra à Rome, puis en Suisse
et à Bruxelles avant de retourner en 1941 aux Pays-Bas. C’est en 1936
qu’a lieu le grand tournant de sa carrière artistique : il
abandonne le paysage classique pour la « construction de
l’esprit », c’est-à-dire la création, par un emploi subtil d’une
perspective erronée, de constructions impossibles et pourtant si
évidemment ‘réelles’. Le plus bel exemple est cette « Chute
d’eau » :
Escher
s’intéressera aussi à la tessellation, c’est-à-dire au recouvrement
d’une surface donnée par d’autres surfaces plus petites, à la manière
de pavés recouvrant la surface d’une pièce d’une maison. En voici un
exemple, simplement intitulé « Le ciel et l’eau » :
M.C. Escher a
d’ailleurs écrit un remarquable ouvrage sur ce sujet aussi passionnant
qu’ardu : Regelmatige vlakverdeling (« Division régulière du
plan »), édité en 1958 par la Fondation ‘De Roos’ à Utrecht.
En 1971, paraît un ouvrage magistral : De werelden van M.C. Escher
(« Les mondes de M.C. Escher »), aux Editions Meulenhoff, à
Amsterdam. Mais l’artiste était gravement malade depuis 1962, et, peu
de temps après cette parution, il décède à l’hôpital d’Hilversum, le 27
mars 1972.
M.C. Escher
n’a pas non plus négligé la philatélie : en 1949, il réalise pour
les postes néerlandaises deux timbre de 10 et 20 cents, ainsi que deux
timbres de 6 et 25 cents pour les Antilles Néerlandaises et deux
timbres de 7½ et 27½ cents pour le Surinam, commémorant le 75ème
anniversaire de l’Union Postale Universelle. On y retrouve son
obsession pour la tessellation :
Voici par ailleurs une photo de M.C. Escher
prise en l’an 1963 :
Nous ne
voulons pas terminer cette ballade mathématique sans vous proposer
quelques autres timbres proposant des constructions irréalisables :
Et enfin,
cerise sur le gâteau, nous ne pouvons résister au plaisir subtil de
vous présenter un poiuyt. A notre connaissance, le poiuyt n’a jamais
figuré sur un timbre, mais il en vaudrait certainement la peine… On
chuchote même qu’un groupe semi-clandestin de mathématiciens
préparerait un Montimbre® le représentant… Quoi qu’il en soit, ne vous
tracassez pas trop, un poiuyt n’a jamais mordu personne !