Royal Philatélie Hesbignonne

 

Möbius et la philatélie


un article de Michel Feron

      Lorsqu’en 1790, Johann Heinrich Möbius, professeur de danse de son état, engendra son fils unique August, il ne se doutait guère que, plus de deux cent ans plus tard, il serait aussi célèbre. D’ailleurs, Johann Möbius mourut alors que son fils n’avait encore que trois ans : ce n’est donc pas lui qui orienta le choix de ses études.

      Le jeune August commença de études de droit à l’Université de Leipzig, en 1809. Cependant, il découvrit vite que ce sujet ne l’intéressait guère, et, dès le milieu de sa première année, il se tourna vers les mathématiques, l’astronomie et la physique. En 1813, nous retrouvons Möbius à Göttingen où il suit l’enseignement de Gauss, qui combinait harmonieusement mathématique et astronomie. Il se rend ensuite à Halle, où il étudie sous Johann Pfaff.

      En 1815, il écrit sa thèse de doctorat sur « L’occultation des étoiles fixes ». L’année suivante, il est nommé professeur extraordinaire d’astronomie et de mécanique supérieure à l’Université de Leipzig. On raconte pourtant qu’il n’était pas spécialement un bon pédagogue, et qu’en conséquence, il vivait assez pauvrement, car peu d’élèves payants fréquentaient ses cours… Lorsque la chaire de mathématiques devint libre, on lui préféra un autre mathématicien. Ce n’est qu’en 1844 qu’il devint enfin un « full professor » de l'Université de Leipzig

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      Les divers travaux de Möbius concernent aussi bien les mathématiques que l’astronomie. En particulier, ses publications mathématiques, quoique pas toujours absolument originales, étaient efficaces et clairement présentées. Son nom reste attaché à divers objets mathématiques importants tels que la « fonction de Möbius » et la « formule d’inversion de Möbius ». Ce n’est qu’après son décès en 1868 qu’on découvrit un mémoire discutant des propriétés d’une surface fort particulière, que tout le monde connaît sous le nom de « surface de Möbius », même si l’antériorité en ce sujet, tant au point de vue conception qu’au point de vue publication, revient en réalité à Johann Benedict Listing (1808-1882).

      Même pour un mathématicien chevronné et blanchi sous le harnais, il n’est guère facile de se représenter clairement la surface de Möbius, car elle s’étend à l’infini de tous les côtés… En gros, on peut la définir comme suit : un plan tourne autour d’une de ses droites d’un mouvement uniforme de rotation. Par un point fixe dans ce plan mais non situé sur la droite, passe une seconde droite qui tourne dans le plan autour du point d’un mouvement uniforme de rotation de vitesse angulaire égale à la moitié de celle du plan. Cette seconde droite engendre une surface infinie appelée « surface de Möbius ».
Il n’est pas trop ( !) difficile de donner des équations paramétriques de cette surface, mais nous vous en ferons grâce !

      Heureusement, il est plus facile de concevoir et même de construite physiquement une version simplifiée : le fameux « ruban de Möbius ». Nous invitons nos lecteurs à prendre les quelques minutes nécessaires à ce petit exercice : le résultat en vaut certes la peine. Voici donc comment procéder : vous prenez une bandelette de papier pas trop rigide. Les dimensions peuvent être choisies librement, mais nous vous recommandons une bandelette d’à peu près 30 cm de long et deux ou trois cm de large.

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Vous faites effectuer à une des extrémités (ici A) une rotation d’un demi-tour

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Vous collez ensuite (colle classique ou scotch tape) les extrémités A et B sans changer leur orientation.

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Et hop, vous voilà l’heureux possesseur d’un ruban de Möbius en bonne et due forme… Celui-ci, ainsi d’ailleurs que ses frères jumeaux que vous ne manquerez pas de créer, vous permettra de réaliser de fascinantes expériences !

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      Tout d’abord, à l’aide de deux crayons de couleur, marquez un endroit d’une croix rouge et l’endroit correspondant de l’autre côté de la feuille d’une croix verte. Il vous suffit ensuite de demander à votre fils/neveu/gamin de la concierge de colorier en rouge la face portant la croix rouge et en vert celle portant la croix verte…
      Par contre, il serait souhaitable que vous réalisiez vous-même la petite expérience suivante : à l’aide d’une paire de ciseaux, vous entaillez le ruban à mi-distance de ses deux bords, puis vous découpez le ruban en deux en suivant la ligne à mi-distance des deux bords. Cependant, avant que de faire cette expérience, tâchez de deviner si les deux moitiés obtenues seront séparées ou entrelacées. Vous m’en direz des nouvelles !
Il est aussi fort intéressant de découper  un ruban de Möbius en trois, en suivant un de ses bords à un tiers de sa largeur. Ici aussi, le résultat en vaut la peine ! 
      Le ruban de Möbius trouve un emploi fort décoratif tant en joaillerie qu’en tricot (écharpes en forme de ruban de Möbius). 
Mais venons-en enfin, après cet intermède aussi instructif qu’amusant, à la philatélie… 
      Le ruban de Möbius figure, en tant que tel, sur deux timbres brésiliens :

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      On le retrouve aussi, portant les couleurs nationales des trois pays, sur les timbres de l’émission commune belgo-néerlando-luxembourgeoise célébrant le Benelux :

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      Enfin, on l’a utilisé pour créer le symbole bien connu du recyclage, que l’on retrouve sur certains entiers postaux britanniques et slovènes pour indiquer qu’ils furent imprimés sur du papier recyclé :

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      Nous ne voudrions pas quitter ce cher Möbius sans signaler l’utilisation remarquable de son ruban par le génial artiste néerlandais Maurits Cornelis Escher : ces pauvres fourmis ne sont certes pas encore arrivées à destination !

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      Il y aurait certes beaucoup à dire au sujet de M.C. Escher, mais nous nous efforcerons de modérer notre enthousiasme ! Né à Leeuwarden le 17 juin 1898, il voit sa première œuvre graphique publiée en 1916. De 1919 à 1922, il suit les cours de l’Ecole d’Architecture et des Arts Décoratifs de Haarlem. Il visite ensuite l’Espagne et l’Italie, deux pays qui influenceront ses œuvres. Sa première exposition personnelle a d’ailleurs lieu en août 1923 à Sienne. Il vivra à Rome, puis en Suisse et à Bruxelles avant de retourner en 1941 aux Pays-Bas. C’est en 1936 qu’a lieu le grand tournant de sa carrière artistique : il abandonne le paysage classique pour la « construction de l’esprit », c’est-à-dire la création, par un emploi subtil d’une perspective erronée, de constructions impossibles et pourtant si évidemment ‘réelles’. Le plus bel exemple est cette « Chute d’eau » :

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      Escher s’intéressera aussi à la tessellation, c’est-à-dire au recouvrement d’une surface donnée par d’autres surfaces plus petites, à la manière de pavés recouvrant la surface d’une pièce d’une maison. En voici un exemple, simplement intitulé « Le ciel et l’eau » :

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      M.C. Escher a d’ailleurs écrit un remarquable ouvrage sur ce sujet aussi passionnant qu’ardu : Regelmatige vlakverdeling (« Division régulière du plan »), édité en 1958 par la Fondation ‘De Roos’ à Utrecht.
En 1971, paraît un ouvrage magistral : De werelden van M.C. Escher (« Les mondes de M.C. Escher »), aux Editions Meulenhoff, à Amsterdam. Mais l’artiste était gravement malade depuis 1962, et, peu de temps après cette parution, il décède à l’hôpital d’Hilversum, le 27 mars 1972.

      M.C. Escher n’a pas non plus négligé la philatélie : en 1949, il réalise pour les postes néerlandaises deux timbre de 10 et 20 cents, ainsi que deux timbres de 6 et 25 cents pour les Antilles Néerlandaises et deux timbres de 7½ et 27½ cents pour le Surinam, commémorant le 75ème anniversaire de l’Union Postale Universelle. On y retrouve son obsession pour la tessellation :

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Voici par ailleurs une photo de M.C. Escher prise en l’an 1963 :

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      Nous ne voulons pas terminer cette ballade mathématique sans vous proposer quelques autres timbres proposant des constructions irréalisables :

 

 

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      Et enfin, cerise sur le gâteau, nous ne pouvons résister au plaisir subtil de vous présenter un poiuyt. A notre connaissance, le poiuyt n’a jamais figuré sur un timbre, mais il en vaudrait certainement la peine… On chuchote même qu’un groupe semi-clandestin de mathématiciens préparerait un Montimbre® le représentant… Quoi qu’il en soit, ne vous tracassez pas trop, un poiuyt n’a jamais mordu personne !

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